LEER : entre les lignes, l’artiste
Photographies et textes :
Yannick ANTHONY-KOUDJINA
Basé sur le spectacle "LEER les mots du Dragon" de
Danilo SEKIC
Admiration, fascination et obsession. C’est ce qu’a produit en moi le spectacle de Danilo Sekic "LEER les mots du Dragon". En s’appuyant sur une série de lettres écrites par Bruce Lee à ses proches, cet artiste a imaginé une performance intime, intense et habitée mêlant jeu d’acteur, danse, arts martiaux et acrobaties. Obsédé par cette œuvre théâtrale singulière, j’ai voulu lever le voile sur la route qui a conduit à un tel résultat. Pendant six mois, j’ai tenu une conversation artistique avec Danilo Sekic, en le photographiant et en échangeant avec lui. C’est ainsi qu’est né "LEER : entre les lignes, l’artiste", un essai photo-littéraire qui explore les dessous de l’acte de la création artistique.
Bruce Lee, vous connaissez sans doute ce nom. Si ce n’est pas le cas, vous avez du rattrapage à faire. En le prononçant, je me revois à 10 ou 12 ans en train de regarder en boucle la VHS d’Opération Dragon avec mon frère, tentant tous deux de reproduire certains de ses mouvements en puisant dans le reliquat de l’année de karaté que nous avions dans les pattes.
Pour les aficionados des jeux vidéo Street fighter 2 et Street of rage que nous étions, ce film était un régal à chaque visionnage. Après ce premier émoi cinématographique, il y eut La fureur du dragon et son mythique combat opposant Bruce Lee à Chuck Norris et plus tard, Le jeu de la mort.
Malgré son décès quatorze ans avant ma naissance, Bruce Lee s’était installé dans mon esprit d’adolescent contribuant à mon attachement aux films d’arts martiaux.
Le début des années 2000 marqua un tournant dans le cinéma d’arts martiaux. Le genre connut une période faste avec des productions tantôt venues d’Asie, tantôt taillées pour le marché occidental, au succès critique et public comme Tigre et Dragon, Fist of legend, Shaolin Soccer, Ong-bak, SPL, le Baiser mortel du dragon, Kill Bill, ou encore les Rush Hour. Avec l’offre pléthorique de l’époque, je dois avouer que j’ai mis le petit Dragon (surnom de Bruce Lee) de côté au profit de Jet Li, Michelle Yeoh, Donnie Yen ou Tony Jaa.
Depuis la première fois qu’il l’a vu en action, Bruce Lee n’a jamais quitté l’esprit et les pensées de Danilo Sekic. Aujourd’hui, on pourrait même dire que monsieur Lee habite son corps, à travers le spectacle qu’il a mis sur pieds.
« Bruce Lee, c’est la première idole que j’ai eue », me confia-t-il lors d’un entretien.
« Je devais avoir 4-5 ans, je ne sais plus d’où ça me vient, j’ai des flashs où je vois Bruce Lee à la télé et je me souviens, mon père voulait me montrer Jackie Chan et moi je lui dis : Nan, nan, je veux voir Bruce Lee, je veux voir Bruce Lee ! J’étais impressionné par Bruce Lee et comme mon père m’a mis au karaté à cinq ans et demi du coup, le parallèle était vite vu. C’est peut-être la première personne qui m’ait donné envie de faire du cinéma donc tout part de Bruce Lee finalement. »
Trois décennies plus tard, cette fascination pour cette icône du cinéma a conduit à la création de LEER les mots du Dragon.
Ma rencontre avec ce spectacle remonte au samedi 7 mai 2022. Ce jour-là dans le 13e arrondissement de Paris, dans les locaux de Digital Village, j’ai assisté à une des deux représentations que Danilo donna au cours du week-end.
Ma rencontre avec Danilo Sekic s’est faite il y a quelques années dans le milieu de l’hôtessariat événementiel où nous gravitons depuis maintenant un certain temps. Étant tous deux cinéphiles, nous avons rapidement sympathisé et c’est par la suite que j’ai appris qu’il était comédien. Lorsqu’au début de l’année 2022 il me parla du spectacle sur lequel il travaillait, un spectacle dans lequel il interprétait des lettres de Bruce Lee sur une chorégraphie de sa propre création, ma curiosité a d’abord été piquée. Cependant, rien de ce qu’il m’en avait dit ne m’avait préparé à ce à quoi j’ai assisté quelques mois plus tard.
Pendant près d’une heure, Danilo déclame des courriers de monsieur Lee, il les lit, il les joue. Dans une pénombre éclairée par de rares lumières, il entame avec ses bras une chorégraphie semblable à un kata de karaté avant d’aller se jucher en haut d’un escabeau pour jouer une autre lettre. Bruce s’adresse à son épouse, Linda. Enjoué, plein de projets et d’ambitions, tendre, je découvre un Bruce Lee que je ne connaissais pas. Puis Danilo redescend et exécute cette fois une chorégraphie un brin plus ancrée, au parfum de flamenco, à mesure que ses pas martèlent le sol. Puis il s’arrête net, droit et statique devant un micro. Il récite un poème de Bruce Lee et semble touché par les mots qu’il prononce à en entendre l’émotion dans sa voix. En fond sonore une musique, dont le volume et l’intensité vont crescendo, s’étire avant que son et lumière ne se coupent, plongeant la salle dans le silence et la pénombre. Danilo réapparaît. Il est cette fois au centre d’un demi-cercle formé par une grande guirlande lumineuse posée à même le sol. Nous basculons alors dans une ambiance musicale portée par la batterie de Max Roach, illustre pionnier du bebop, sur son morceau The Drum Also Waltzes. Danilo entame une nouvelle chorégraphie. Retour au karaté… en fait nan, tout est beaucoup plus léger, plus acrobatique. Se faufilant entre le rythme de la grosse caisse et celui des cymbales Charleston, les bras et les pieds se meuvent, les coups pleuvent et cinglent l’air, Danilo tourne, il gravite dans les limites de ce demi-cercle de lumière, son jeu de jambes virevolte, semblable à celui de Lee dans son combat contre Chuck Norris. Ou alors serait-ce le jeu de jambes de Mohammed Ali ? Derrière sa batterie, Max Roach se déchaine. Danilo passe au sol, sa chorégraphie emprunte alors quelques figures au breakdance ou à la capoeira. La dernière note de batterie résonne, elle vient de terminer sa valse et Danilo sa danse. Retour à monsieur Lee avec une nouvelle lettre dans laquelle Bruce est désormais plus jeune qu’il ne l’était quelques minutes auparavant. Danilo porte quant à lui quelques couches de vêtements en moins. À présent, le petit Dragon nous parle de ses entraînements et nous avons même droit à la recette d’une boisson énergisante de son cru, à consommer tous les jours pour obtenir un résultat probant. Après cet aparté alimentaire, alors que les mots de ce jeune américain d’origine chinoise promu à une gloire dont il sait qu’elle est à sa portée résonnent encore, Danilo grimpe. Il grimpe sur une table avant de s’agripper à un punching bag qui lui permet de grimper encore et toujours plus haut. Il grimpe et s’élève tandis que Bruce lui, est encore loin d’être au sommet de son art. Trois mètres de hauteur, c’est à peu près la distance qui sépare les pieds de Danilo du sol. Je retiens mon souffle et je sens que les autres spectateurs retiennent le leur. Le moment est venu, monsieur Sekic lâche prise. C’est la chute. Enfin pas tout à fait celle du spectacle puisque l’artiste atterrit sur un matelas et se remet a déclamer son texte. Dans la pénombre, le visage éclairé par une bougie, les derniers mots timides du jeune Lee Jun-fan s’envolent des lèvres de Danilo Sekic. Un dernier souffle et bougie et spectacle s’éteignent.
Cette représentation dont je viens de faire une description approximative (excuse-moi Danilo) m’a profondément marquée, car entre le panache de cette chorégraphie et la sincérité des mots de Bruce Lee, se dessinait un portrait que je voyais pour la première fois, celui de Danilo Sekic l’artiste.
De février à septembre 2023, j’ai suivi Danilo Sekic afin d’explorer en images et en mots l’énergie créatrice à l’origine de LEER les mots du Dragon. Je vous invite désormais à découvrir les 6 épisodes qui composent l'essai photo-littéraire qu'est "LEER : entre les lignes, l’artiste".